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Salut Eric, « La France », comme je t’ai toujours appelé,
C’est en écoutant « One Step Beyond » de Madness à fond de balle que je t’écris ce message dans la plus pure tradition de ce que tu as proposé avec ta plume incisive, impertinente et touchante sur ton blog pendant de nombreuses années.
Je n’aurais jamais imaginé devoir t’envoyer ce message, ni l’écrire. Pendant une dizaine d’années, nous avons partagé tant de choses autour de la musique et de la radio, ces deux éléments qui nous ont rassemblés depuis ton arrivée à Classic 21 en 2004, au départ pour quelques remplacements, et puis pour y retrouver ta place comme celle de LA voix du matin, celle qui pendant tant d’années a apporté joie, bonne humeur, et rire à des centaines des milliers d’auditeurs au quotidien.
Effectivement, je n’aurais pu même concevoir que tu allais nous quitter aussi brusquement, toi qui, de tes 56 ans, représentait toujours l’image de cette jeunesse et de cette forme qui semblait éternelle. Durant les 4 dernières années, où nos chemins se sont quelque peu éloignés, suite à certaines épreuves de nos vies, j’ai toujours espéré qu’on pourrait retrouver cette étincelle de cette profonde et sincère amitié qui nous a lié pendant cette période cruciale de ma vie. Cela n’a pas pu se faire, je le regrette, mais je ne blame personne, certainement pas toi.
J’ai longtemps imaginé que nos discussions et long débat de société – à refaire le monde le lendemain d’un concert dans la cuisine de ton appart à Mons ou dans mon appartement à Namur – se seraient naturellement continué un jour, quand comme deux vieux témoins de l’histoire du rock’n’roll, on se retrouvait à se balancer cuillères et fourchettes à la figure dans une maison de retraite après une longue tirade sur qui était meilleur entre David Bowie et le Boss, ton Boss, Bruce Springsteen.
J’imaginais que Maxime, que j’avais baptisé affectueusement « Mini-France », tant il te ressemble, viendrait nous rendre visite dans ce home. Après notre bataille autour d’un pudding « Mont-Blanc » chocolat, auquel tu m’avais converti et que tu me ramenais régulièrement de France, il aurait avec son sourire taquin et son intelligence naturelle apporté sa touche bienveillante et mis fin au débat. Il serait juste venu rendre visite à deux vieux grabataire du rock, dans 30 ans, c’est ainsi que ça aurait dû se passer…
C’est de cette idée et de tellement d’autres images qui n’arrêtent pas de défiler depuis hier que j’aimerais te parler.
Je me souviens encore de la première conférence de presse de la rentrée de Classic 21 auquel nous avons assisté ensemble, j’ai toujours eu cette image de toi, dans cet ascenseur, alors qu’on commençait à peine à se connaitre, et ce flash… cette révélation qui m’a frappé: « ce gars, ça va devenir un grand dans la radio ». Ce jour-là, ça devait être en 2004 ou 2005, j’avais eu cette profonde intuition que tu allais devenir le capitaine du navire Classic 21.
Par la suite s’en est suivi tant de moments, tant de partages. Le nombre d’interviews où tu m’accompagnais avec ta bienveillance, ta bonne humeur, et ton fameux appareil photo. Rencontre émouvante avec le grand Joe Cocker, moments complètement délirants avec Suggs et les autres membres de Madness qui tu admirais tant, et puis ce cliché où nous avons eu l’occasion de faire en compagnie du groupe, un clin d’oeil à la mythique pochette de « One Step Beyond ».
Il y aussi cette rencontre avec le guitariste de ton Boss, Steven Van Zandt… Quelle aventure, on a quand même réussi à retarder la montée du groupe sur scène tant Steven était plongée dans l’entretien. On en était tellement fier… tu te souviens?
Plus fan de rock que de reggae et de ska, tu m’as convaincu de me rendre en ta compagnie à de nombreux concerts du genre, et notamment de rencontrer deux membres clefs de Wailers, notamment le guitariste Junior Marvin, qui avait fait des merveilles sur « Exodus » de Bob Marley, un de tes albums favoris.
Tout cela a mené à l’organisation de « nuits du Reggae » sur Classic 21, une des tes idées géniales, de faire revivre la radio pendant une nuit entière autour du reggae et de ses grands acteurs. Ca a été tellement tellement intense de collaborer avec toi sur de tels projets.
Et puis il y a cet inédit que nous avons co-signé pour le magazine Télépro sur l’histoire du rock, ce qui nous emmené ensuite sur la route des conférences rock que nous avons partagé ensemble au début.
« So much things to say right now » chantait Bob sur « Exodus »…
Dans ce festival d’images qui parcourent mon esprit à ce moment, il y a ces moments où l’on se retrouvait ensemble en studio et que tu doublais, en français, avec ton talent et ton aisance naturelle, les interviews que je ramenais. Je ne souviens de ce moment, je doublais ma question en français et tu me répondais à la place de l’interviewé, et on s’est tapé ce délire en prononçant le nom de Kanye West… s’en est suivi un fou rire de plus de 5 minutes, impossible de se reprendre. Un moment de bonheur, de joie simple, de complicité. J’ai toujours l’enregistrement mais, je dois t’avouer, que je ne serais pas capable de l’écouter pour le moment.
Je suis certain que si tu me vois rédiger ces mots aujourd’hui, là où tu es, tu dois être en train de te foutre de ma gueule et me voyant chialer. Je t’imagine en train de crier à tue-tête « Jannnvviiierr » ou encore en train de fredonner une des chansons paillardes, dont tu avais le secret, tous ces instants ou tu nous faisais marrer pour dédramatiser les choses.
Ce délire aussi me revient en tête, tu te rappelles quand on chantait « Punish The Mooonnkeyyyy » de Mark Knopfler dans le paysage ? C’était notre running gag…
En discutant avec d’autres personnes qui t’ont bien connu, on se conseille à chacun de « penser à tous les bons moments », une façon d’apaiser tant que possible la douleur qui est très vive. Mais, bordel, comme ils ont été nombreux ces moment quand j’y repense… et je te remercie pour tout ça, de plus profond de mon cœur…
Je repense aussi au 10 janvier 2016, j’étais malade, à la maison au fond du fond, et on venait d’apprendre la disparition de mon Boss, David Bowie. Tu m’as appelé et on a improvisé une émission complète sur Classic 21, moi par téléphone et toi au studio de Mons. Un grand moment radiophonique piloté par ton expérience, par ce vibrant amour pour la radio qui t’animait depuis que tu avais construit ton premier studio radio dans ton jardin, en compagnie de ton papa que tu admirais tant … et qui te manquait tant.
Le seul soulagement aujourd’hui, c’est de se dire, que même si tu ne croyais pas à tout ça, tu es peut-être aujourd’hui en sa compagnie bienveillante. Et tu es probablement en train de lui lui expliquer toutes ces superbes aventures musicales que tu as proposées aux auditeurs depuis autant d’années sur Classic 21, mais en France également auparavant. Que tu lui parles du petit Max – qui est devenu grand – dont tu as toujours été si fier, de Lydie, que tu aimais tant, que tu évoques toutes ces rencontres incroyables que tu as faite, dont celle du Boss, ton modèle absolu et à qui tu as eu l’occasion de dire à quel point il avait changé ta vie.
Je ne vais pas être plus long, parce que sinon je vais provoquer un pénurie de mouchoir dans les supermarchés namurois…
Tu ne peux pas imaginer à quel point nos grands débats sur Marilyn Manson, l’eau en bouteille (oui oui, tu vois, hein?), la politique français et internationale, nos geekeries de téléphone et d’appareil photo, tout ça me manquera profondément.
Mais sache que, et je parle également aux noms de mes camarades de Classic 21, que nous serons forts parce que Laforge sera toujours avec nous…
Ton pote,
« L’Italie », « Le Riep », Laurent