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Cat Power – Sings Dylan: The 1966 Royal Albert Hall Concert au Cirque Royal de Bruxelles, 09/06/25

📍 Cirque Royal, Bruxelles
📅 9 juin 2025

Chan Marshall, alias CAT POWER, n’est pas une interprète comme les autres. Depuis plus de vingt-cinq ans, elle bouscule les genres avec une sensibilité à fleur de peau, une voix capable de fragilité comme de puissance retenue, et une capacité rare à faire sienne la musique des autres. Ce n’est donc pas un hasard si elle s’est lancée, depuis 2022, dans un projet aussi ambitieux que personnel : recréer le concert mythique donné par Bob Dylan à Manchester en mai 1966, longtemps – et à tort – appelé The Royal Albert Hall Concert.

Ce concert est entré dans la légende pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’il marque un tournant majeur dans la carrière de Dylan : la bascule entre le folk acoustique de ses débuts et un rock électrique aux sonorités plus abrasives. Ensuite, parce qu’il est le théâtre d’un moment de tension historique : un spectateur outré, scandant “Judas!” à Dylan, trahissant selon lui l’essence du folk. En réponse, Dylan ordonne à son groupe de “jouer fing fort*” avant de lancer un “Like a Rolling Stone” d’une intensité rageuse. C’est ce moment charnière de l’histoire du rock que Cat Power a choisi non pas de copier, mais d’habiter, avec respect, émotion, et une classe indéniable.

Pas de reconstitution théâtrale, ni d’effet vintage forcé : Cat Power choisit l’épure. Au Cirque Royal, la scène est dépouillée, baignée d’une lumière sobre, bleutée ou orangée, presque feutrée. Une ambiance de club plus que de show, qui évoque immédiatement les concerts de 1966 : une époque où tout tenait dans la tension d’un regard, la magie d’un silence ou l’éclat d’un couplet.

Le concert est structuré en deux sets parfaitement distincts, à l’image du concert original. La première partie, entièrement acoustique, permet à la voix de Chan Marshall de s’épanouir dans toute sa richesse. Elle ne cherche jamais à imiter Dylan : elle l’incarne, avec une sincérité presque troublante. Chaque mot, chaque souffle, semble pesé, vécu, offert. On assiste alors non pas à une relecture muséale, mais à une transfusion d’âme entre deux artistes. On pourrait presque parler d’un concert de Dylan amélioré… tant la voix, profonde et enveloppante, révèle des dimensions nouvelles à des titres comme “It’s All Over Now, Baby Blue” ou “Mr. Tambourine Man”.

Peu à peu, cette première partie gagne en intensité, comme si l’on sentait déjà gronder l’orage électrique à venir. Et c’est justement ce que propose la seconde moitié : une montée en puissance rock’n’roll, fiévreuse mais toujours contenue. Les guitares se frottent à l’orgue Hammond, les rythmiques se densifient, et le groupe, parfait d’un bout à l’autre, brille dans chaque nuance. Mention spéciale à Jordan Summers à l’orgue Hammond – pas une émulation numérique, mais le véritable instrument, avec ce grain chaud et légèrement rugueux qui ancre tout dans le réel.

Ailleurs, lors d’autres dates, des spectateurs ont crié “Judas!” pour recréer l’instant célèbre. Chan Marshall, imperturbable, avait alors répliqué : “Jesus”. Ce soir à Bruxelles, rien de tel. Pas besoin de rejouer le passé : la magie opère dans le présent, dans cette fidélité qui ne cède jamais à la caricature.

Un hommage humble, puissant, habité. Et profondément touchant.
Et puis ce “Ballad of a Thin Man”…
Lent, tendu, spectral.
Un moment suspendu qui, à lui seul, touchait au sublime.

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Jerry Harrison & Adrian Belew (avec Cool Cool Cool) revisitent Talking Heads – Cirque Royal, dimanche 1er juin

Deux légendes de la scène rock expérimentale se sont réunies dimanche soir au Cirque Royal pour un concert aussi dansant qu’inspiré.

D’un côté, Jerry Harrison, 76 ans, membre fondateur des Talking Heads aux côtés de David Byrne, mais aussi des cultissimes Modern Lovers avec Jonathan Richman au début des années 70 – un groupe qui influencera profondément la scène punk.

De l’autre, Adrian Belew, 75 ans, génie de la guitare non conventionnelle, connu pour ses collaborations avec Frank Zappa, David Bowie (qui le « vole » à Zappa, ce que ce dernier n’appréciera guère) ou encore King Crimson, où il forme un véritable duo d’esprits avec Robert Fripp. Un guitar hero pas comme les autres, toujours à la recherche de sonorités nouvelles, étranges, audacieuses.

Le cœur de cette tournée ? Un hommage vibrant à Remain In Light (1980), chef-d’œuvre des Talking Heads produit par Brian Eno, dans lequel le groupe mêle post-punk, new wave, funk et afrobeat avec une audace folle. Le duo propose aussi quelques titres de Fear of Music (1979), autre album de référence, sur lequel Fripp laissait lui aussi son empreinte.

Dès les premières notes de “Psycho Killer”, le public est conquis. Suivent les titres les plus groovy et décalés de ces albums cultes. La section rythmique est impeccable, les arrangements fidèles mais vivants. La complicité entre Harrison et Belew est palpable, et le groupe Cool Cool Cool, originaire de Brooklyn, se montre tout simplement épatant.

Côté voix, pas de David Byrne à l’horizon, mais une belle alternance entre Harrison, Belew et le saxophoniste Josh Schwartz qui impressionne par sa capacité à incarner l’énergie vocale, parfois presque théâtrale, de Byrne. Mention spéciale aussi à la magnétique Shira Elias, chanteuse et choriste, qui électrise la scène avec une grâce et une présence remarquables.

Le concert, d’environ 1h30, passe à une vitesse folle. Dès le troisième morceau, le public, pourtant installé en configuration assise, se lève comme un seul homme pour danser, chanter et vibrer au rythme d’un hommage aussi fidèle qu’énergique. Une célébration intense et respectueuse d’un groupe dont l’innovation reste intacte. Et un rappel salutaire : Jerry Harrison, souvent resté dans l’ombre, fut l’un des véritables architectes du son Talking Heads.

Une soirée rare, généreuse, où l’histoire du rock a repris vie… sous une lumière bien vivante.

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