J’ai sans doute découvert Bruce Springsteen à rebours. Non pas par ses hymnes fédérateurs ou ses solos incandescent aux côtés du E Street Band, mais par la voix fragile et chuchotante de ses albums folk : Nebraska, The Ghost of Tom Joad, Devils & Dust.
Adolescent, j’étais fasciné par cette écriture dépouillée, ces récits hantés qui faisaient écho à Dylan, Pete Seeger ou Woody Guthrie. Plus tard, j’ai appris à aimer le Springsteen des grandes scènes, celui du New Jersey et de la ferveur collective. Mais c’est le premier, le conteur des marges, qui m’a le plus marqué.
C’est justement ce Bruce-là qu’explore Deliver Me From Nowhere, biopic centré sur la genèse de Nebraska, une œuvre risquée, essentielle, et profondément humaine.
On y retrouve des éclats de son enfance, la relation tourmentée avec son père, mais surtout cette lutte intérieure pour imposer un disque à contre-courant de tout ce que son label attendait alors d’un artiste en pleine ascension. L’exactitude des détails laisse d’ailleurs entrevoir qu’un autre film pourrait un jour s’intéresser à une autre période de sa vie, tant elle fut foisonnante.
Comme son autobiographie Born to Run, Deliver Me From Nowhere s’articule autour d’un fil rouge : la dépression. Cette maladie sourde, invisible, traverse le film comme une ombre persistante. L’album Nebraska, brut et sans fard, devient ici le symbole d’un combat contre la douleur, une métaphore de la résilience face à l’obscurité intérieure.
Scott Cooper signe une œuvre sensible, lente, presque méditative. On y plonge dans les émotions, les silences et les doutes d’un Springsteen jeune adulte. C’est un film d’auteur plus qu’un biopic hollywoodien à effet clippé. Une approche rare, respectueuse, et profondément juste.
Et puis, il y a Jeremy Allen White. Sobre, habité, jamais caricatural, il incarne le Boss avec une intelligence rare : celle de comprendre l’homme avant la légende.
Deliver Me From Nowhere ne cherche pas à glorifier Bruce Springsteen. Il le regarde en face. Et c’est sans doute pour cela qu’il touche si juste.
C’était un jour gris à Manchester, en 1982. Johnny Marr, dix-huit ans, décide de frapper à la porte d’un inconnu dont on lui a dit qu’il écrivait sur la musique comme d’autres écrivent des prières. Cet inconnu, c’est Steven Patrick Morrissey. En quelques heures, dans une chambre tapissée de vinyles et de livres, les deux posent les bases d’une alliance qui changera l’histoire du rock anglais. De cette rencontre naîtront les Smiths.
Et voilà qu’en ce soir d’automne, le guitariste mythique du groupe foulait la scène de l’OM — ce lieu qui, jadis, ne vibrait pas au son des amplis mais résonnait des applaudissements lors des cérémonies de décorations des ouvriers et employés de Cockerill Sambre.
Ici, on célébrait la sueur, la chaleur des hauts fourneaux, la précision du laminoir – la fierté d’une région façonnée par l’acier.
Et voilà qu’un fils de Manchester, autre cité ouvrière marquée par la fumée des usines et la grisaille industrielle, venait faire chanter ses guitares là où, autrefois, chantait le métal.
Comme un pont invisible entre deux villes forgées par le travail et la musique, deux villes qui ont vu naître bien plus que des chansons : une manière d’exister, de résister.
Ce soir-là, à Seraing, les guitares remplaçaient les marteaux, mais l’énergie, elle, restait la même.
La sirène retentit, un souffle métallique qui traverse la salle comme un rappel lointain des hauts fourneaux. D’un coup, les stroboscopes s’ouvrent, et Johnny attaque Generate! Generate!, riff anguleux, batterie sèche, basse qui talonne. On comprend tout de suite que la soirée sera tendue, précise, physique.
Panic, second titre du set, ouvre le premier clin d’œil aux Smiths – il y en aura en tout six sur les dix-neuf titres joués. Le public répète encore timidement le refrain “Hang the DJ”, comme s’il fallait un instant pour réaliser que ce qu’on entend, ici, à Seraing, c’est bien l’un des hymnes d’une génération.
This Charming Man nous ramène aux débuts du groupe : même éclat, même vélocité, même sourire à demi effacé derrière la guitare. Les titres de la carrière solo de Marr et ceux des Smiths s’enchaînent avec une fluidité remarquable ; cette patte guitaristique, limpide et nerveuse, relie l’ensemble avec une cohérence rare.
Moment d’émotion pure lorsqu’il entame Please, Please, Please Let Me Get What I Want : quelques visages se figent, d’autres ferment les yeux. Puis vient le moment d’immersion totale avec le somptueux Walk Into the Sea, extrait de Call the Comet (2018), un titre qui prend une dimension supérieure dans cette version scénique envoûtante, presque méditative.
Les classiques Bigmouth Strikes Again et How Soon Is Now? rallument le feu collectif : les visages s’illuminent, les guitares tournent comme des moteurs d’usine, et tout l’OM semble vibrer à l’unisson.
Le concert s’achève sur trois titres en rappel : une reprise bienvenue de The Passenger d’Iggy Pop, suivie de Ophelia, puis d’un final magistral – There Is a Light That Never Goes Out – chanté à pleine voix par un public bouleversé.
Aujourd’hui, Johnny Marr incarne à lui seul l’héritage des Smiths — et il le fait avec une élégance rare.
Quarante ans après leur création, il reste celui qui fait vivre ce répertoire sans le trahir, en restant fidèle à son esprit, à sa musicalité et à sa décence.
Pendant que Morrissey s’enlise de plus en plus dans des prises de position politiques radicales, flirtant avec les discours d’extrême droite et “anti-woke” qui ont profondément divisé son public, Marr, lui, poursuit son chemin avec discrétion, loyauté et respect.
Et ce soir à Seraing, c’était une évidence : on n’avait clairement pas besoin de Morrissey.
Les chansons parlaient d’elles-mêmes, débarrassées du vernis et des postures. Il ne restait que leur beauté, leurs mélodies, et cette émotion intacte qui, le temps d’un concert, rassemblait tout le monde du même côté — celui de la musique.
C’était un jour gris à Manchester, en 1982. Johnny Marr, dix-huit ans, décide de frapper à la porte d’un inconnu dont on lui a dit qu’il écrivait sur la musique comme d’autres écrivent des prières. Cet inconnu, c’est Steven Patrick Morrissey. En quelques heures, dans une chambre tapissée de vinyles et de livres, les deux posent les bases d’une alliance qui changera l’histoire du rock anglais. De cette rencontre naîtront les Smiths.
Et voilà qu’en ce soir d’automne, le guitariste mythique du groupe foulait la scène de l’OM — ce lieu qui, jadis, ne vibrait pas au son des amplis mais résonnait des applaudissements lors des cérémonies de décorations des ouvriers et employés de Cockerill Sambre.
Ici, on célébrait la sueur, la chaleur des hauts fourneaux, la précision du laminoir – la fierté d’une région façonnée par l’acier.
Et voilà qu’un fils de Manchester, autre cité ouvrière marquée par la fumée des usines et la grisaille industrielle, venait faire chanter ses guitares là où, autrefois, chantait le métal.
Comme un pont invisible entre deux villes forgées par le travail et la musique, deux villes qui ont vu naître bien plus que des chansons : une manière d’exister, de résister.
Ce soir-là, à Seraing, les guitares remplaçaient les marteaux, mais l’énergie, elle, restait la même.
La sirène retentit, un souffle métallique qui traverse la salle comme un rappel lointain des hauts fourneaux. D’un coup, les stroboscopes s’ouvrent, et Johnny attaque Generate! Generate!, riff anguleux, batterie sèche, basse qui talonne. On comprend tout de suite que la soirée sera tendue, précise, physique.
Panic, second titre du set, ouvre le premier clin d’œil aux Smiths – il y en aura en tout six sur les dix-neuf titres joués. Le public répète encore timidement le refrain “Hang the DJ”, comme s’il fallait un instant pour réaliser que ce qu’on entend, ici, à Seraing, c’est bien l’un des hymnes d’une génération.
This Charming Man nous ramène aux débuts du groupe : même éclat, même vélocité, même sourire à demi effacé derrière la guitare. Les titres de la carrière solo de Marr et ceux des Smiths s’enchaînent avec une fluidité remarquable ; cette patte guitaristique, limpide et nerveuse, relie l’ensemble avec une cohérence rare.
Moment d’émotion pure lorsqu’il entame Please, Please, Please Let Me Get What I Want : quelques visages se figent, d’autres ferment les yeux. Puis vient le moment d’immersion totale avec le somptueux Walk Into the Sea, extrait de Call the Comet (2018), un titre qui prend une dimension supérieure dans cette version scénique envoûtante, presque méditative.
Les classiques Bigmouth Strikes Again et How Soon Is Now? rallument le feu collectif : les visages s’illuminent, les guitares tournent comme des moteurs d’usine, et tout l’OM semble vibrer à l’unisson.
Le concert s’achève sur trois titres en rappel : une reprise bienvenue de The Passenger d’Iggy Pop, suivie de Ophelia, puis d’un final magistral – There Is a Light That Never Goes Out – chanté à pleine voix par un public bouleversé.
Aujourd’hui, Johnny Marr incarne à lui seul l’héritage des Smiths — et il le fait avec une élégance rare.
Quarante ans après leur création, il reste celui qui fait vivre ce répertoire sans le trahir, en restant fidèle à son esprit, à sa musicalité et à sa décence.
Pendant que Morrissey s’enlise de plus en plus dans des prises de position politiques radicales, flirtant avec les discours d’extrême droite et “anti-woke” qui ont profondément divisé son public, Marr, lui, poursuit son chemin avec discrétion, loyauté et respect.
Et ce soir à Seraing, c’était une évidence : on n’avait clairement pas besoin de Morrissey.
Les chansons parlaient d’elles-mêmes, débarrassées du vernis et des postures. Il ne restait que leur beauté, leurs mélodies, et cette émotion intacte qui, le temps d’un concert, rassemblait tout le monde du même côté — celui de la musique.
(Patti Smith au Cirque Royal de Bruxelles, concert du 15 octobre, photo par Laurent Rieppi)
Patti Smith et son groupe assurent la promotion de Horses, leur tout premier album, sorti quelques mois plus tôt. Plusieurs concerts marquent cette première tournée européenne, dont des dates à Bruxelles 🎤. Des images mythiques seront d’ailleurs immortalisées par la RTBF lors de son passage au Cirque Royal, en octobre de cette même année.
Quarante-neuf ans plus tard, Horses est devenu une pierre angulaire de l’histoire du rock. À l’aube de son 50e anniversaire, une réédition spéciale vient d’être annoncée… et Patti revient sur les planches du Cirque Royal pour rejouer l’intégralité de cet album fondateur, accompagnée de quelques classiques de son répertoire 🔥.
À 78 ans, la chanteuse, musicienne et poétesse ne semble avoir rien perdu de sa fougue. Ses longs cheveux blancs virevoltent au rythme d’un Gloria incandescent, véritable exorcisme collectif. En quelques minutes, tout le monde est conquis.
Mais ce sont les deux titres les plus « ouverts » de Horses – les poétiques et déstructurés Birdland et Land – qui nous transportent ailleurs 🌙. Patti déploie cette énergie quasi chamanique qui la relie à son public. La salle tout entière entre en transe, nos mains battent la mesure sans même y penser, comme si la pulsation de la musique s’était fondue dans celle de notre cœur.
On rit, on pleure, on se libère. La musique devient catharsis : elle extirpe nos douleurs, nous soigne, nous redonne de l’espoir ❤️. Et dans ce moment suspendu, on se surprend à se souvenir… D’une chambre d’ado, d’un vieux vinyle un peu râpé, écouté en boucle la nuit, à la lumière d’une lampe de chevet 💿. De ce sentiment d’intimité absolue, cette communion entre l’artiste et celui ou celle qui écoute.
Entre deux titres, Patti évoque les fantômes qui l’accompagnent : Jim Morrison sur Break It Up, Jimi Hendrix sur Elegy, son mari Fred « Sonic » Smith parti trop tôt, et les poètes Rimbaud, Verlaine, Baudelaire, qui semblent hanter les rues de Bruxelles aux côtés du personnage de Johnny, héros de Land.
Après avoir tout donné pendant quarante-cinq minutes, Patti quitte la scène pour une courte pause. Ses musiciens, menés par l’indéfectible Lenny Kaye (à ses côtés depuis le début des années 70) et son fils Jackson Smith, rendent alors hommage à Television, revisitant quelques notes de Marquee Moon 🎸.
Elle revient enfin pour un final vibrant : Because The Night embrase la salle, portée par une énergie viscérale et une ferveur intacte. Puis vient People Have The Power, repris en chœur par tout le Cirque Royal comme une prière collective 🙌. Le poing levé, le public quitte la salle empli d’une force nouvelle, presque régénéré.
J’étais déjà présent ici-même en 2023 pour un concert de Patti en formation trio. C’était intense, bouleversant même. Mais hier soir, on a franchi un cap. C’était plus qu’un concert : un rituel.