Suite à l’un de mes précédents articles sur ma visite de la Handel Hendrix House à Londres, j’ai souhaité aller plus loin. Ce lieu mythique où Jimi Hendrix a vécu au sommet de sa carrière regorge d’histoires, mais que sait-on vraiment de la vie quotidienne derrière le mythe ? J’ai donc contacté le musée pour obtenir les coordonnées de Kathy Etchingham, qui a partagé la vie de Jimi durant cette période aussi courte qu’intense.
Elle a très gentiment accepté de me répondre, elle qui ne donne plus d’interview depuis plusieurs années. Voici le fruit de cet échange exclusif, rare et précieux. Un regard doux, lucide et sincère sur l’homme derrière le génie.
1. Vous et Jimi avez vécu au 23 Brook Street à un moment clé de sa carrière. Que représentait ce lieu pour vous deux à l’époque ? Était-ce un refuge, un espace créatif, un vrai chez-vous ?
« C’était le premier endroit qui était vraiment à nous. Avant cela, on vivait à l’hôtel ou on partageait un appartement avec Chas Chandler et sa compagne Lotte. Jimi aimait pouvoir décorer et meubler notre propre lieu. On a fait les magasins ensemble pour les rideaux et les meubles. Le musée a d’ailleurs retrouvé plusieurs reçus à son nom, je crois qu’ils vont les exposer. »
2. Y a-t-il des souvenirs particuliers de cette époque qui vous reviennent — des moments du quotidien qui en disent plus sur Jimi que tous les concerts ?
« Rien de très précis ne me revient, mais je me souviens qu’il avait appris à faire le thé “à l’anglaise”, avec du lait et du sucre. Il aimait aussi regarder le soap Coronation Street ; il était fasciné par les personnages et leurs accents du nord. »
3. Le musée a aujourd’hui recréé l’appartement avec beaucoup de soin. Lors de votre première visite, cela correspondait-il à vos souvenirs ?
« La seule chose qui n’était pas vraiment fidèle au départ, c’est qu’ils avaient voulu donner une allure bohème, un peu en désordre. Mais en réalité, Jimi et moi étions très ordonnés. Il faisait le lit chaque jour avec une précision militaire — il avait été para — et rangeait ses affaires soigneusement. »

4. On imagine souvent Jimi comme une icône flamboyante. Mais à la maison, comment était-il réellement ? Quels étaient ses rituels, ses moments calmes ?
« Il était très calme, très “normal”. Sa personnalité sur scène, c’était uniquement pour la scène. »
5. Avait-il des artistes ou des disques qu’il aimait particulièrement écouter lorsqu’il se détendait à l’appartement ? Ou des activités non musicales pour se relaxer ?
« Il écoutait principalement du blues. Et il lisait des romans ou des nouvelles de science-fiction. »

6. Était-il plutôt du matin ou du soir à Brook Street ? À quoi ressemblait une journée type lorsqu’il n’était ni en tournée ni en studio ?
« On était tous les deux des oiseaux de nuit. On se levait tard. On sortait souvent le soir, mais pas tous les jours. »
7. Parlait-il de Haendel, sachant qu’il vivait dans la même maison que lui ? Est-ce que cela l’amusait ou l’inspirait ?
« Oui, il s’intéressait à cette coïncidence. Il avait même acheté deux disques de Handel pour les écouter. Une fois, alors qu’il était fatigué, il a cru voir le fantôme de Handel dans le miroir… mais c’était juste son propre reflet. »
8. Avec le recul, quel est selon vous l’aspect le plus mal compris de la personnalité de Jimi — en tant qu’homme, compagnon ou être humain ?
« C’est difficile à dire, car je ne sais pas vraiment comment les gens le perçoivent. Mais je pense qu’on confond souvent sa personnalité scénique avec la personne qu’il était vraiment. »
9. Y a-t-il un souvenir que vous aimeriez que le public connaisse, parce qu’il illustre vraiment qui était Jimi au-delà de la légende ?
« Je pense que les gens devraient savoir à quel point il était quelqu’un de calme et de normal. En dehors de la musique, il lisait, expérimentait beaucoup, et jouait souvent de la guitare acoustique. »
10. Avez-vous un titre favori dans son répertoire ? Et si oui, pourquoi celui-là en particulier ?
« All Along the Watchtower. Même si c’est une chanson de Bob Dylan à la base. »
11. Quand vous repensez à cette époque aujourd’hui, avec le recul et l’expérience, comment percevez-vous ces moments partagés ?
« Comme tu le dis, c’était il y a longtemps. On était tous les deux très jeunes, et tout était nouveau pour nous. Comme j’avais été DJ dans des clubs, je connaissais bien la scène londonienne. Avec le recul, je réalise que je lui ai fait découvrir pas mal de gens et d’endroits qu’il n’aurait peut-être rencontrés que plus tard dans sa carrière. Je connaissais déjà Keith Moon des Who ou Brian Jones des Stones. »
Un immense merci à Kathy Etchingham pour sa générosité, sa mémoire, et la tendresse avec laquelle elle évoque ces souvenirs. Ce qu’elle nous offre ici, c’est une autre image de Hendrix : celle d’un homme discret, curieux, amoureux de musique et du quotidien. Une mémoire précieuse, à préserver, comme le font aujourd’hui les murs de Brook Street.




